Vogue la galère…

Et voilà, notre balade de 48h en bus est terminée. L’escale d’une dizaine d’heures à Vientiane nous a permis de recroiser Marco-le-cyclo et d’aller récupérer des pièces pour réparer Turbo. Nous arrivons à Luang Prabang avec l’impression d’avoir été passés à tabac toute la nuit tant la route était chaotique et la conduite du chauffeur de bus sportive.

Turbo est toujours là. On est très contents de le retrouver après 2 mois; il est sale et a un pneu crevé mais il est beau comme un camion (…). J’ai un peu de boulot dessus avant de repartir mais après une journée, tout est rentré dans l’ordre. Nous déguerpissons au petit matin pour ne pas perdre de temps. En effet, nous sommes le 3 mars et notre permis Cambodgien stipule que Turbo doit rentrer le 7, et sortir le 11 par Sihanoukville, le grand port situé au sud du pays, et tout ceci est non négociable.

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Si nous retournons au Cambodge, c’est avant tout pour envoyer Turbo par bateau en Iran. Expédier sa voiture par bateau dans un pays d’Asie (dans le jargon, on dit ‘shipper’) n’est pas chose aisée, et n’est surtout presque pas faisable par ses propres moyens. Heureusement, Camille bosse sur le sujet depuis des mois, on a les contacts, on a reçu des offres, tout est prévu. Lim, notre agent maritime nous attend le 9 pour charger Turbo dans un container et l’enverra le 11 se promener en direction de l’Iran. Il a même pour référence d’avoir shippé Matrol vers la France, le 4×4 de nos kinés Simon et Jojo, et ce sans le moindre souci. Tout ça c’est très bien mais ça veut dire qu’il faut pas traîner.

La route qui descend vers le sud depuis Luang Prabang est simplement magnifique, tout en monolithes karstiques et en forêts humides. L’escale du soir se fera à Vientiane et nous mettrons finalement 2 jours de plus à descendre en s’arrêtant pas loin de Thakhek puis du côté des 4000 îles.

La frontière que nous devons franchir est réputée pour être la pire d’Asie du sud-est en ce qui concerne les dons d’argent non consentis envers des représentants de l’autorité de l’état; bref, ça backshish sec.

Les douaniers laotiens refusent de nous tamponner la sortie tant que leurs homologues cambodgiens n’ont pas donné leur accord pour nous laisser entrer. Etrange sachant qu’on a vraiment tous les papiers mais admettons. On arrive dans le bureau des douanes, l’officier et son collègue sont souriants, ça sent plutôt bon pour nous. Le collègue en question commence par nous présenter le document qui nous manque pour passer, qui nous coûtera 55000 riels (5.5€). Il nous propose aussi 2 options: le remplir nous-mêmes ou le faire remplir moyennant paiement. Bon, des frontières on en a passé 1 ou 2 depuis 9 mois, des papiers on en a rempli un peu aussi, on se dit qu’on va faire ça nous mêmes, tranquillement. Ca n’a pas l’air de plaire à notre interlocuteur qui nous menace d’amende si on fait une erreur dans le papier. ‘T’inquiète pas JeanJean, on fera gaffe’. Le sourire se crispe.

Le type nous emmène dans une cahute et me plante devant un PC tout écrit en khmer et rien qui indique où je peux trouver le maudit formulaire. ‘Bah vas-y, t’as plus qu’à trouver le document et à le remplir sans faire de faute, comme apparement tu sais le faire !’ Oui c’est bien ça, il n’a pas apprécié. Après lui avoir poliment expliqué qu’on trouvait ce comportement moins que limite (en faisant gaffe, on ne veut pas lui faire perdre la face) le bonhomme décrète qu’il ne veut plus nous parler. Et bin voilà, il est vexé maintenant. Ca se complique. Nous sortons la botte secrète de tous ceux à qui ce genre de mésaventure arrive, et qui n’a franchement rien de secret: on brandit la menace de l’appel à l’ambassade, le fameux. Le gars n’en a cure. Camille ne se démonte pas, part dans le couloir, ostensiblement armée d’un téléphone incapable de passer un appel où que ce soit et sort son jeu d’actrice. Pas plus de réaction côté douanier. Nous sommes coincés. Pas moyen d’avoir ce maudit document. A court d’argument sensé autant que de bidon, et consternés devant le comportement des mecs, nous décidons d’avoir tout de même recours à notre ambassade, reste à trouver un téléphone.

Le conseil de l’ambassade est d’y retourner et de re-demander gentillement, et surtout ne pas les laisser se fâcher. Bon, merci bien, on a déjà essayé mais on va retenter, des fois que. Cela fonctionne, le gars est d’une arrogance à faire complexer un français mais ça avance. En revanche, il nous explique que le service de remplissage n’a rien d’officiel, et que sa rémunération non plus. Bon en gros, à nous de savoir ce qu’on est capable de payer. 5 dollars passent pas. 10 non plus. Va pour 15 ? Nan. On se croirait dans un souk à Marakech mais non, nous tentons d’obtenir un papier officiel. C’est la mort dans l’âme que je lui tend les 30 dollars sans lesquels il refuse toute discussion quand il daigne se lever et s’executer. Dans l’intervalle, Camille reçoit un message de l’ambassade: ‘si vous arrivez à communiquer avec les douaniers, dites leurs que j’en ai référé au général en chef de l’immigration – ils devraient avoir de ses nouvelles bientôt’. Y connait pas Raoul ce mec ! Ca plaisante pas à l’ambassade. Ca nous rendra pas notre argent mais si les mecs se font un peu remonter les bretelles, ça mange pas de pain. On se passe bien de leur dire, ça leur fera la surprise !

L’histoire ne dit pas si les mecs se sont pris une danse ou non, mais ce qu’elle dit, c’est qu’on a jamais revu le mec vexé, que c’est le gradé lui-même qui nous a apporté notre papier alors qu’on était assis sur un banc dehors, qu’il ne nous a pas demandé de payer les fameux 55000 riels (alors que le mec avait bien insisté sur ce point: ‘c’est pas parce que je vous vole 30 balles qu’il faut pas payer les trucs officiels’), et que tous les gens à qui nous avons eu affaire juste après ont été particulièrement infects… Hmm, une petit gifle, ça réveille, mais ça énerve un peu aussi.

Nous ne demandons pas notre reste, et filons en hurlant de joie dans la voiture, après 5h de lutte à la douane. Nous avons 2 jours pour rejoindre Sihanoukville et nous arrêter à Phnom Penh pour récupérer nos vélos déposés dans un hôtel pour ne pas se les trimbaler dans le bus.

Ça roule plutôt très bien et nous arrivons devant chez Lim parfaitement dans les temps. Le bonhomme arrive torse poil et short. Bon, pourquoi pas. Il nous accueille devant chez lui, regarde Turbo garé à quelques mètres et dit ‘ouais bah non, il va pas rentrer dans le container’. Bien sûr. Cela fait juste 3 mois qu’il a les dimensions exactes et les photos de Turbo et qu’il nous dit qu’il n’y a pas de problème. Sans se fâcher on lui explique qu’on ne comprend pas bien. Il s’éclipse 2 minutes et revient et nous dit que finalement c’est bon ça va rentrer. Fracture ouverte de la confiance. On a juste à revenir le lendemain, le temps pour lui de faire venir le bon container et on charge. Nous repartons presque rassurés et croisons nos Parigourdins, encore eux, et rions ensemble de nos péripéties respectives.

Ce qui devait arriver arriva, le lendemain, évidemment, Turbo ne rentre pas dans le container. Lim avait beau le mesurer et le re-mesurer encore, on est trop haut de 30 centimètres. Bon, pas grave qui nous dit, il peut avoir un container où qu’on rentre dedans mais dans 1 mois et c’est beaucoup plus cher. ‘Euh, non mais t’es bien sympa Jo-le-rigolo mais on va essayer autre chose’. Je ne saurais dire pourquoi, mais sur le moment, on a plutôt bien pris la chose; peut-être qu’on s’y attendait finalement.

Bref, le plan B, c’est de shipper depuis la Malaisie. Aller en Malaisie ça veut dire rouler 2500km, sortir du Cambodge par une autre frontière que celle mentionnée sur notre permis, puis de traverser la Thaïlande, pays dans lequel on ne peut théoriquement pas rentrer avec un véhicule aménagé. Oui, oui, parfait, ça se présente plutôt bien tout ça. Nous retrouvons le soir-même Hugo et Emeline qui par chance ont le même programme et nous décidons de faire le trajet ensemble vers la frontière.

De nouveau, ce qui devait arriver arriva, nous nous faisons refouler à la sortie du Cambodge pour cause de permis non valide, et sommes invités à retourner à Phnom Penh pour faire un avenant. Pas moyen de discuter. Les mecs sont carrés avec la procédure. Pour une fois, on aurait préféré s’arranger autrement… Nous repartons aussi sec et passons la nuit dans une pagode pas loin des quais à Phnom Penh. Nous arrivons miraculeusement à obtenir la modification de nos permis vers 17h le lendemain et décidons de repartir sans attendre… pour 8h de route. Quatre petites heures de sommeil plus tard nous partons vers la frontière et sortons du Cambodge facilement. Place à la Thaïlande interdite maintenant. Pour une fois, la chance nous sourit, en moins d’une heure, Turbo et Pépère passent la frontière et nous voilà en train de rouler à gauche, sur les routes de Thaïlande. Il était finalement plus simple de rentrer dans un pays qui nous est théoriquement interdit que de sortir d’un autre avec des papiers en règle…

Nous prévenons d’emblée notre agent maritime en Malaisie, Daryl, que nous sommes en route. Daryl est la rock star du shipping en Malaisie, tous les voyageurs en véhicule qui expédient par bateau le connaissent, et nous sommes vraiment rassurés de passer par lui, qui respire le professionnalisme. Si on met de côté la frontière Cambodgienne, nous auront franchi les pires frontières avec Hugo et Emeline, et c’est quand même plus facile d’affronter tous ces petits tracas à plusieurs.

Nous traversons la Thaïlande au pas de course, repassant par les routes que nous avons emprunté à vélo quelques semaines plus tôt. Les journées sont harassantes et consacrées exclusivement à rouler par des températures bouillantes. Nous franchissons la frontière malaisienne sans souci; enfin sans soucis de papier, parce que nous avons touchotté légèrement en passant la grande porte à la douane et avons ensuite perdu notre lanterneau (une fenêtre de toit). Nous nous en rendrons compte beaucoup plus tard bien évidemment. Mais là encore, nous le prenons avec beaucoup de philosophie et ça nous fait même bien marrer. Tant pis pour le lanterneau, je bricole une réparation à base de couverture de survie et de duct-tape (oui parce que quand il pleut ici, ça plaisante pas) et nous refilons de plus belle en direction de Port Klang, à l’ouest de Kuala Lumpur.

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Nous retrouvons Daryl pour charger Turbo sur son container ouvert. En une heure l’affaire est pliée, ses gars nous sanglent la bête fermement et c’est déjà l’heure de lui dire au revoir. Ça nous fait tout bizarre de le laisser une fois de plus et de se dire qu’on le retrouvera deux semaines plus tard à presque 6000km de là.

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Après une nuit passée à Kuala Lumpur, nous prenons la direction de l’île de Pangkor avec la ferme intention de ne surtout rien faire. Nous avons un peu moins de 10 jours à tuer avant de prendre l’avion pour Téhéran et nous sommes épuisés par ce marathon qui dure depuis 3 semaines déjà. L’île de Pangkor n’a rien de très exceptionnel et c’est bien ce que nous venons chercher: pas trop d’agitation ni de touristes, mais du sable, de l’eau claire, des palmiers et du soleil. Nous passons nos journées à lire, à manger les pieds dans le sable et à régler toutes les petites formalités pour la suite des opérations.

Bien reposés par cette parenthèse insulaire, nous partons vers les Cameron Highlands, une zone montagneuse au centre de la Malaisie connue pour ses plantations de thé et de fruits en tous genres. La température y est bien plus douce que partout ailleurs et nous nous surprenons même à avoir besoin d’une couverture la nuit. Nous faisons une petite rando dans la jungle, tous seuls comme des grands, et dans ce coin là ce n’est pas légion. Enfin tous seuls, pas tout à fait: nous sommes accompagnés par un chien que nous avons appelé Rouky, et qui nous suit depuis la ville; il a dû nous trouver sympas et ne nous a plus lâché de la journée. Un dernier petit détour par la ville de Ipoh, non loin de là pour une dernière soirée avec Hugo et Emeline, qui s’en vont vers d’autres cieux avec l’Indonésie, puis le Japon et le retour en France par la Russie, la Mongolie et encore l’Asie centrale.

Nous sommes finalement retournés à Kuala Lumpur l’avant-veille de notre départ pour récupérer les derniers papiers du shipping auprès de Daryl.

Nous prendrons l’avion demain pour l’Iran après plus de 5 mois en Asie et des souvenirs plein la tête.

1 réflexion au sujet de “Vogue la galère…”

  1. Ah ah, je me suis bien marrée en lisant vos déboires, que pourtant je connaissais déjà !

    Bravo pour le recul sur la situation parce que je sais que ces trois semaines ont été intenses en termes de rythme et d’ascenceur émotionnel !

    Je vous ai déjà dit que vous alliez finir boudhistes ? 😁😁

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